Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, à l’instar des Yogas Sutras de Patanjali, des Védas, des Upanishads ou de la Haṭha Yoga Pradīpikā, la Bhagavad Gita est l’un des textes fondateurs de la philosophie du yoga.
L’intrigue de la Bhagavad Gita repose sur la demande fondamentale et universelle d’Arjuna à Krishna :« Instruis-moi. Indique-moi le chemin unique par lequel je pourrai à coup sûr atteindre la félicité »
Au travers du texte, Krishna explique à Arjuna les secrets de la pratique yogique, les dessous de la nature humaine, les pièges du mental et les voies pour atteindre la libération, le bonheur suprême, la paix.
Dans les prochains articles, je vous propose d’étudier les enseignements majeurs de la Bhagavad Gita qui, comme nous allons le voir, malgré leur grand âge sont d’une actualité surprenante.
1. Bhagavad Gita : attraction et répulsion
L’un des enseignements fondamentaux que Krishna partage avec Arjuna concerne les désirs, les sens et les plaisirs.
En effet, lorsque Arjuna demande à Krishna de lui donner le secret de la félicité, la divinité commence par enseigner à son disciple ce qui le tient éloigner du bonheur. Krishna indique que « sens et désirs voilent la Sagesse » ou encore que « l’homme plein de désirs de parvient pas à l’état de quiétude » .
Le maître explique que, par nature, l’être humain poursuit ce qui lui est agréable et rejette ce qui lui est désagréable. De l’attraction, « raga » et la répulsion « dvesha » pour ce que Krishna nomme les « paires opposées » — et qui sont le plaisir et la douleur, le chaud et le froid le bonheur et le malheur, le succès et l’échec… — il résulte que l’être humain est constamment agité.
Cette tendance à poursuivre l’agréable et à s’éloigner de ce qui est désagréable est la nature même du mental. Le mental a pour but initial de permettre à l’être humain de naviguer en toute sécurité au sein du monde qui l’entoure. Il est ainsi le garant de la pérennité du corps et du « je » dans cet univers.
Il est donc normal que pour assurer sa sécurité, le mental s’éloigne de ce qui lui est désagréable, douloureux, voire dangereux, et, qu’à l’inverse, il se rapproche de ce qui lui semble agréable et source de plaisir et de sécurité.
Cependant, au-delà de cette mission protectrice, le mental cherche le bonheur dans des objets qui ne sont capables de lui apporter que des satisfactions passagères, du plaisir éphémère. L’être humain est alors happé dans une course sans fin qui résulte en sa propre souffrance.
Krishna mentionne que « l’attraction et la répulsion pour les objets des sens ont leurs racines dans les sens eux-mêmes ». Il ajoute « que nul ne s’embourbe dans leur va-et-vient, car ils sont ses pires ennemis ».
Selon Krishna il existe « deux sortes de personnes dans ce monde : les dévas et les assouras », autrement dit, « les êtres divins » et « les êtres démoniaques ». Les seconds « s’adonnent à d’innombrables soucis qui ne s’achèvent que dans la mort, considérant la satisfaction des désirs comme le but suprême ».
C’est pourquoi, la voie du yoga enseigne de « n’entretenir aucun désir » et de pratiquer le détachement « varaïgya » ainsi que le retrait des sens « pratyahara ».
2. Bhagavad Gita : action et inaction
Grâce aux paroles de Krishna, Arjuna comprend que la satisfaction des désirs ainsi que la recherche du plaisir des sens ne lui apporteront pas la félicité. Il en arrive à la conclusion suivante : s’il ne faut plus rien poursuivre ni rien rejeter, alors autant ne rien faire et s’installer dans l’inaction. C’est là à coup sûr le chemin de la félicité.
Krishna continue son enseignement en expliquant à son disciple que l’action est naturelle à l’Homme. Il l’avise que « même la vie du corps est impossible sans action ».
En outre, l’inaction est un grand péché, au sens strict du terme, à savoir « manquer sa cible » ou « rater son but ». Krishna assure que « l’état sans action ne mène pas à la Libération ».
C’est à cet instant que Krishna prononce les paroles les plus emblématiques de toute la Bhagavad Gita : « celui qui voir l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction est un sage parmi les hommes ; c’est un yogi ».
Autrement dit, l’inaction physique est un péché, car l’action est naturelle à l’homme, mais seulement lorsque celle-ci est dénuée d’intentions autres que l’action elle-même. C’est ce que l’on nomme « l’action juste », celle pour laquelle l’Homme œuvre sans attendre les fruits de son propre labeur.
3. Bhagavad Gita : attachements et détachements
Après avoir expliqué à Arjuna la nécessité de l’action dans la voie du yoga et de la libération (et non de l’inaction). Arjuna entame l’enseignement d’un nouvel aspect de la voie du yoga : le détachement des fruits de son action.
Krishna déclare : « en vérité, un être incarné ne peut pas renoncer entièrement aux actions, mais il peut renoncer aux fruits des actions. Celui-là est un homme de renoncement ».
Comme nous l’avons vu, l’action est naturelle à l’être humain et elle est indispensable à la réalisation du Soi. Cependant, l’action se doit d’être une action juste. L’action juste est celle qui est dénouée d’attachement.
Krishna indique que « l’attachement aux résultats provoque l’inquiétude dans l’action. Ne pas être attaché aux résultats mène au calme dans l’action ».
Ainsi, la voie du yoga prône « tyaga » qui signifie « l’abandon des fruits d’une action » et, par conséquent, le service désintéressé, que l’on nomme « karma yoga ». Il ajoute à l’attention d’Arjuna : « accomplis toujours sans attachement l’action qui doit être accomplie, car en accomplissant l’action sans attachement, l’homme atteint le Suprême ». C’est en ce sens, qu’à l’image de toute pratique spirituelle, « le yoga est renoncement ».
Alexandra JOY
Octobre 2021.